Rien à déclarer : l'histoire rocambolesque de la météorite de Bettrechies

article de Thibaut Alexandre
30 MAI 2013

Gravure extraite de L\'aérolithe du Hainaut. Mémoire n°66 du Musée Royal d\'Histoire Naturelle de Belgique.
Gravure extraite de L'aérolithe du Hainaut. Mémoire n°66 du Musée Royal d'Histoire Naturelle de Belgique.

Meteor-Center

Dimanche dernier, les téléspectateurs français ont pu assister à la diffusion de la comédie de Dany Boon, Rien à déclarer, retraçant l'histoire imaginaire de la première brigade de la douane volante franco-belge, à l'ouverture des frontières en 1993. Dans le film, le duo incongru Boon %u2013 Poelvoorde poursuit des trafiquants de drogue. Une autre histoire franco-belge, bien réelle cette fois-ci, aurait largement de quoi inspirer un autre film comique : à cinquante kilomètres du poste-frontière de Courquain (en fait, Macquenoise), et soixante ans plus tôt, une étrange affaire a secoué la frontière, non pas à cause de poudre blanche, mais d'une pierre noire...

Bolide et rumeurs en tous genres

Lundi 26 novembre 1934, vers 20h35. La nuit est claire, froide et silencieuse. Soudain, un superbe bolide (étoile filante particulièrement brillante) fend l'obscurité en Belgique et dans le Nord de la France. Un globe de feu éclaire le paysage d'une lumière fantastique, suivi d'un roulement de tonnerre et d'une violente détonation.

Charleroi, Mons, Maubeuge, Bavay... Les populations de ces régions charbonnières sont vivement impressionnées. On trouve des témoins jusqu'à Liège. Les rumeurs vont aussitôt bon train sur la nature de cette boule de feu. Certains disent que c'est le vol postal Paris-Bruxelles qui a explosé ! On parle aussi d'une explosion d'origine criminelle d'un dépôt de munitions, ou alors d'un coup de grisou.

Contexte politique de l'époque oblige, d'autres pensent que c'est l'Allemagne qui teste un canon secret et qui se prépare à la guerre. Il est vrai que le bolide venait de l'Est... Encore mieux : après la découverte de la météorite au sol, une rumeur affirmera qu'il s'agissait d'une bombe larguée par un avion allemand. On trouvera même des habitants ayant entendu peu avant l'explosion un avion venant de l'Est ! Le contexte n'est pas ufologique, mais on en est vraiment pas loin.

Heureusement, la piste d'une chute de météorite est judicieusement évoquée. Le mardi 27 novembre, de nombreuses personnes se mettent à la recherche du corps qui a chuté avec fracas la veille au soir. On signale aussitôt la chute d'une météorite à Goegnies-Chaussées, en Belgique. En effet, deux domestiques de la ferme Monbanson auraient remarqué un trou anormal dans un champ. Trou qui au final se révélera être... un terrier !

Les rumeurs n'ont finalement rien d'étonnant : pratiquement à chaque chute de gros bolides, toutes sortes d'histoires éclosent. Souvenons nous par exemple que le bolide du 25 janvier 2008 a été interprété comme l'explosion d'un avion près d'Avignon et a entraîné une vaine chasse à la météorite près de Bourges.

Partie de cache-cache avec une météorite La météorite est effectivement tombée dans un champ, dans la commune de Bettrechies (59), au lieu-dit les Sarts, à 60 mètres seulement de la frontière belge, et à une quinzaine de km de Goegnies-Chaussées. Le corps céleste sera découvert par Oscar Saussez, propriétaire du champ. Il tombe sur la pierre gisant au fond d'un trou en forme d'entonnoir d'environ 80 cm de profondeur, mais prend la masse noirâtre pour un obus. N'osant pas y toucher, il décide d'aller à pied à la gendarmerie pour faire part de sa trouvaille. Mais en chemin, il raconte à qui veut l'entendre son incroyable découverte, et notamment à quelques adolescents... M. Saussez doit affronter le scepticisme de la population locale, notamment de la Gendarmerie.

Le mercredi 28 novembre, les journaux français et belges titrent "Chute d'un aérolithe près de Maubeuge !". M. Saussez retourne dans son champ, cette fois-ci accompagné par les gendarmes. Stupeur : la météorite s'est volatilisée !!!

Le lendemain, la presse titre "L'aérolithe a été volé !". Sur place, c'est l'effervescence ! M. Saussez est furieux. Il porte plainte pour la spoliation sur ses terres. L'enquête de gendarmerie commence, et les habitants, du côté français de la frontière sont interrogés.

Le 30 novembre, les scientifiques belges arrivent sur les lieux, sous la direction de René Marlière. La région recevra même la visite du célèbre professeur Auguste Piccard.

Mais les scientifiques se heurtent à l'hostilité des habitants, énervés des soupçons de vol qui pèsent sur eux. Une équipe du Muséum d'histoire naturelle royal de Belgique parviendra à récupérer sur place des morceaux de la météorite. Quant à la masse principale, elle est belle et bien perdue...

10 janvier 1935 : le Musée Royal d'Histoire naturelle de Bruxelles publie un mémoire intitulé "L'aérolithe du Hainaut", une dénomination contraire à la règle établie. Le nom d'une météorite est en principe celui du lieu de chute.

En France, les scientifiques grognent, car normalement la météorite est française !

Ultime rebondissement le 25 janvier 1935 : la masse principale de Bettrechies, pesant 8425 grammes, est remise anonymement au laboratoire de géologie de l'Université de Lille !

Mais que c'était-il passé ?

Souvenez-vous des adolescents croisés par M. Saussez juste après sa découverte d'un trou dans son champ. Le plus âgé d'entre eux a aussitôt pensé à une météorite, et la joyeuse bande décida de jouer un bon tour à M. Saussez : ils récupèrent discrètement la météorite, et eurent l'idée d'envoyer au propriétaire du terrain une lettre signée d'un professeur imaginaire de Bruxelles, lui offrant beaucoup d'argent en échange de la trouvaille. Afin de rendre cette plaisanterie encore plus réaliste, ils postent la lettre depuis la capitale belge. Mais entre temps, souvenons-nous, M. Saussez a porté plainte. Pour les adolescents, il faut se débarrasser du caillou noir le plus discrètement possible.

Un incroyable stratagème s'est mis en place, faisant traverser deux fois la frontière à la météorite, sous le regard intrigué d'un douanier. Elle sera ensuite placée dans le réfrigérateur d'un café de Valenciennes, en attendant de la remettre aux scientifiques et par peur des policiers.

Tout est bien qui finit bien, ou presque : les jours suivants la restitution de la météorite, le laboratoire de géologie de l'Université de Lille est accusé de vol et de recel de météorite ! Un débat s'instaure : qui est le propriétaire de cette météorite ?

Puis c'est au tour de René Marlière d'être impliqué dans le vol : il s'était aventuré dans le pré pour voir le trou de la météorite !

Fort heureusement, l'histoire se termine bien pour tout le monde...

Nouvelle disparition !

l'affaire de la météorite de Bettrechies est oublié pendant une soixantaine d'années. En novembre 1998, un passionné de météorites, habitant Caudry, contacte le Musée d'Histoire naturelle de Lille, pour voir la "Météorite du Hainaut".

En recherchant celle-ci parmi ses collections riches de 100 000 pièces, le conservateur du Musée ne parvient pas à la retrouver ! La météorite a encore une fois disparu !!!

Une recherche approfondie est alors effectuée : il se trouve qu'en 1967, la faculté de Lille est transférée sur le campus de Villeneuve-d'Ascq. C'est là que Bettrechies sera retrouvée en 1999.

Elle était rangée dans une boîte de verre, dans une armoire d'un bureau de l'Université des Sciences et Techniques de Villeneuve-d'Ascq.

Tout est bien qui finit bien : Bettrechies est maintenant précieusement conservée au Muséum d'Histoire naturelle de Lille.

Etonnante histoire que celle de cette météorite : observée lors de sa chute, trouvée, volée, restituée, puis perdue et enfin retrouvée : une véritable histoire franco-belge !

Classification : Bettrechies, alias Hainaut, alias encore Bétréchies ou Lille est une chondrite ordinaire de type H3-6 à olivine et bronzite, contenant 27,02% de fer. Sa densité est de 3,55, et sa porosité de 6,5%.

C'est une météorite d'un type assez rare : on ne connaît qu'une autre météorite de ce type, Zag 140.

La masse totale est estimée entre 10,5 kg et 11,8 kg. Il pourrait même s'agir d'une véritable chute franco-belge, puisqu'une patrouille de police belge vit un autre fragment tomber dans un champ près de Gerpinnes.

Deux anecdotes liées à cette météorite

 : à l'été 1935, le Muséum royal d'Histoire naturelle de Belgique publie un second mémoire, intitulé Aérolithe du Hainaut, analyse spectrographique. La planche présentant une reproduction des raies spectrales des constituant de la météorite auraient inspiré Hergé pour l'album de Tintin, L'Etoile mystérieuse, avec la découverte du fameux métal extraterrestre du professeur Calys, le "calystène".

Si vous avez la curiosité de visiter la zone de chute de la météorite, vous serez sûrement surpris du fait que la frontière franco-belge est matérialisée sur place par des bornes vieilles d'au moins trois siècles. Quelques unes sont ornées des trois fleurs de lys, tandis qu'une autre est gravée de l'aigle bicéphale de l'Empire... autrichien ! Mais pourquoi donc trouver une borne autrichienne à la frontière belge ?

Tout simplement parce qu'à l'époque de la pose des bornes-frontières, la Belgique n'existait pas. S'y trouvaient à la place les Pays-bas autrichiens.

Pour en savoir plus :

Les météorites de France, guide pratique. Pierre-Marie Pelé, éditions Hermann & BRGM, 2005

La météorite de Bettrechies, une trouvaille française au coeur d'une histoire franco-belge. Article de Manuel Fregez, paru dans L'Astronomie n°53 (février 2011).

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