Sur la piste de la huitième météorite suisse

article de Thibaut Alexandre
18 MARS 2015

Photographie du bolide du 15 mars 2015 par un journaliste suisse à Bassersdorf
Photographie du bolide du 15 mars 2015 par un journaliste suisse à Bassersdorf

20minutes.ch

Grâce à quelques vidéos très précises, il nous aura fallu moins de 24 heures pour déterminer avec une bonne approximation la trajectoire du bolide qui a illuminé le ciel européen le 15 mars 2015 au soir. A la clef : déterminer ses paramètre orbitaux et trouver peut-être la huitième météorite suisse.

Dès dimanche soir, vous avez été très nombreux, tant sur notre site que sur notre page Facebook, à nous signaler le passage d'un magnifique bolide le 15 mars 2015 à 20h44. Le spectacle, aussi inattendu que grandiose, avait en effet de quoi impressionner : un superbe météore verdâtre a traversé le ciel pendant une durée comprise entre 8 et 12 secondes, avant d'exploser en l'air en devenant aussi lumineux que la pleine Lune. Plusieurs centaines de témoins, situés en France, Belgique, Luxembourg, Allemagne, Suisse et Autriche ont pu assister à ce phénomène. Un bruit de détonation sourde a même été entendu (et enregistré !) depuis la Suisse, signe que le météoroïde responsable du phénomène s'est enfoncé profondément dans notre atmosphère et que, peut-être, quelque chose a survécu et est tombé au sol. On parlerait alors d'une ou plusieurs météorites.

Mais à moins de tomber dans une zone habitée où elle a toutes les chances d'être retrouvée rapidement, trouver une météorite reste une gageure. Fort heureusement, grâce à quelques photos et vidéos, il nous a été possible de déterminer assez rapidement une trajectoire approximative du bolide, ce qui permet par la suite d'esquisser une zone de chute potentielle pour retrouver une éventuelle météorite. Ce sont en effet pas moins de cinq caméras embarquées à bord de voitures et au moins trois caméras All Sky (spécialement dédiées à l'étude des phénomènes atmosphériques tels que les bolides ou les orages) qui ont réussies à filmer le passage du bolide : des informations très précieuses peuvent être tirées, grâce à la position des étoiles et de quelques repères célestes.

On peut déjà se faire une bonne idée de la trajectoire du bolide grâce à la caméra All Sky située à Blaustein, tout près de Ulm en Allemagne : les étoiles principales y sont bien visibles, ce qui permet de voir le passage du bolide parmi elles. On peut ainsi voir qu'à 19h44m07s TU (soit 20h44m07s heure de Paris, qui est aussi l'heure légale en Suisse et en Allemagne), le bolide passe juste à gauche (à l'Est donc) de l'étoile Capella, qu'il explose à 19h44m10s TU à une position très proche de celle de l'étoile Betelgeuse et qu'il finit sa course à 19h44m19s TU en bas à droite (au Sud-Ouest donc) de l'étoile Sirius. Comme la position de cette caméra est connue, il suffit alors de consulter un logiciel astronomique comme Stellarium pour relever la position des étoiles cibles : Capella était à 63° de hauteur à un azimut de 280°, Betelgeuse à 42° de hauteur à un azimut de 222° et Sirius à 23° de hauteur et un azimut de 198°. Traduit sur une carte, cela donne une trajectoire allant globalement du Nord vers le Sud-Sud-Ouest.

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La hauteur importante par rapport à l'horizon en cours de parcours (environ 65°) montre que verticale de la trajectoire du bolide est passée pas très loin à l'Ouest (puisque le bolide est vue dans la partie occidentale du ciel depuis Blaustein) de Ulm. Ce détail a son importance : puisque la trajectoire du bolide était orientée du Nord vers le Sud, cela signifie que les vidéos montrant que le bolide se déplace de la gauche vers la droite ont été prises à l'Ouest de la trajectoire, et les vidéos montrant le bolide se déplaçant de la droite vers la gauche à l'Est. En multipliant le nombre de sources, il est ainsi possible d'affiner le couloir emprunté par le bolide. On peut ainsi déterminer que la vidéo prise depuis Inzing en Autriche était à l'Est du bolide, tandis que les vidéos prises depuis Freiburg, sur l'A81 près de Villingen-Schwenningen, Bischoffsheim ou bien encore à Mittelbronn étaient à l'Ouest du bolide.

Mais, bien que spectaculaires, ces vidéos amateurs ne montrent pas de repère céleste remarquable : sans point de repère précis dans le paysage, il est difficile d'y déterminer une trajectoire exacte. Heureusement, au moins deux autres caméra All Sky, l'une gérée par Marco de Chaligny, près de Nancy du réseau BOAM (Base des Observateurs Amateurs de Météores), l'autre à Falera, dans l'Est de la Suisse ont pu capturer le passage du bolide, ce qui permet de trianguler sa position et déterminer sa trajectoire.

Il apparaît ainsi que le météoroïde à l'origine du bolide a pénétré à grande vitesse dans notre atmosphère à une centaine de km d'altitude dans la région de Stuttgart en Allemagne avant de filer vers le Sud-Sud-Ouest, en passant au-dessus de la ville suisse de Wil, et finir sa course en plein ciel au-dessus d'Andermatt, en plein coeur des Alpes suisses. Le trajet, mesurant environ 240 km, a été parcouru en une douzaine de secondes, ce qui donne au bolide la vitesse approximative de 20 km/s, c'est-à-dire exactement celle d'un débris spatial parfaitement naturel (les chutes de satellites hors d'usage sont plus lentes). Cela ne veut pas pour autant dire qu'une météorite est tombée à Andermatt : il s'agit du point d'extinction du bolide. Les résidus du météoroïde d'origine, s'il en reste, ont continué un peu leur course avant de tomber au sol. Si des météorites sont à chercher, il faudrait donc fouiller une zone très montagneuse, et actuellement très enneigée, à la frontière italo-suisse à l'Ouest du Lac Majeur, dans l'Ouest du canton du Tessin en Suisse ou dans la région de Domodossola en Italie. Verrons-nous dans les jours prochains la découverte de la huitième météorite suisse (la dernière découverte remonte à 1985 !) ? Il est encore trop tôt pour le dire avec certitude, même si des détails se montrent encourageants : ainsi, le Service Sismologique Suisse a pu enregistrer le passage du bolide, ce qui prouve bien que la détonation entendue par des témoins au sol dans la région de Zürich était liée au bolide et que celui-ci s'est enfoncé profondément dans notre atmosphère. Toujours est-il que les prétendus débris retrouvés à Schöftland, comme le rapporte certains médias suisses, ne sont pas des météorites liées au bolide du 15 mars : d'une part, cette localité est complètement au dehors de la trajectoire du bolide, et d'autre part les débris photographiés ressemblent très peu à des pierres tombées de l'espace (l'une ressemble très étrangement à une tectite en provenance d'Asie du Sud-Est, et les trois autres peuvent faire penser à des morceaux de charbon).

Les premières analyses que j'ai publiées sur Ufo Scepticisme, forum d'étude pragmatique du phénomène ovni et des phénomènes connexes, montrent que grâce à seulement quelques premières vidéos, j'avais assez bien déterminé la trajectoire globale du bolide : passage du Nord vers le Sud à l'Est de la Forêt Noire, à la verticale du Lac de Constance, avec possible chute dans les Alpes suisses ou le Nord de l'Italie. Ainsi, qu'il s'agisse de la prédiction de la chute d'un étage de fusée au-dessus de la Lorraine en février 2013 ou de l'explication détaillée du mystérieux halo lumineux au-dessus de l'Océan indien en septembre 2013, nous ne sommes pas peu fiers d'avoir rapidement fourni à nos lecteurs les bonnes analyses concernant ces différents phénomènes.

Quoi qu'il en soit, l'analyse de ce magnifique bolide du 15 mars 2015 montre tout l'intérêt du développement d'un réseau de caméras de surveillance du ciel, à l'image de l'actuel projet FRIPON: retrouver des météorites et les étudier, c'est l'espoir d'élucider le secret de nos origines !

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