Quel point commun entre Job (celui de l'Ancien Testament), Virgile (le poète latin du 1er siècle avant JC), Dante et Vincent Van Gogh ?
Quelle est cette constellation que tant de gens savent identifier dans le ciel, quel que soit leur niveau de connaissance de l'astronomie ? La seule constellation presque universellement reconnue, avec Orion, probablement, et nous allons voir de ce pas que ça ne date pas d'hier.
La Grande Ourse, dont Job s'entretenait avec son Dieu (qui n'était pas commode), dont parlaient Virgile ou Dante, que peignait Van Gogh...
A proprement parler, la constellation de la Grande Ourse ne se limite pas aux seules 7 étoiles de la « Grande Louche » (Big Dipper des Anglais et Américains), du Grand chariot, voire du Char, du sanglier gaulois, de la Grande Casserole qui agaçait ce pauvre Camille Flammarion, inoubliable auteur de l'Astronomie Populaire.
Ces 7 étoiles forment ce que l'on appelle un astérisme, c'est-à-dire un groupe d'étoiles proches dans notre ciel, souvent un sous-ensemble d'une constellation.
Ces 7 étoiles sont l'un des astérismes les plus connus et identifiés depuis le plus longtemps, et cela à travers toutes les civilisations de l'hémisphère nord.
Ainsi, les étoiles de la Grande Ourse font partie des rares nommées dans la Bible, Livre de Job (extraits de la traduction Segond de 1910) :
« Il a créé la Grande Ourse, l'Orion et les Pléiades, et les étoiles des régions australes » (chap.9, v.9)
« Noues-tu les liens des Pléiades, Ou détaches-tu les cordages de l'Orion ? Fais-tu paraître en leur temps les signes du zodiaque, Et conduis-tu la Grande Ourse avec ses petits ? Connais-tu les lois du ciel ? Règles-tu son pouvoir sur la terre ? » (chap.38, v.31 à 33)
Nous retrouvons les mêmes dans Virgile (1er siècle avant JC) dans Les Géorgiques :
Navita tum stellis numeros et nomina fecit,
Pleiadas, Hyadas, claramque Lycaonis Arcton
Les Pléiades et les Hyades, de la constellation du Taureau, accompagnent donc Callisto, la fille de Lycaon, roi d'Arcadie, qui fut transformée en ourse dans le récit de la Mythologie grecque, et donc reprise par Virgile. Littéralement, Lycaonis Arcton : Arctos, c'est le nom donné à la constellation en latin, mais aussi un point cardinal, le Nord (d'où l'océan arctique).
Même si l'étoile polaire se trouve dans la Petite Ourse voisine, une étoile d'une grande banalité et en vérité de piètre magnitude, c'est en partant de l'astérisme de la Grande Ourse qu'on trouvera sans peine l'étoile qui indique la direction du Nord (et dont la hauteur dans le ciel indiquera sa latitude au marin, le navita de Virgile ?).
Ce que l'on peut voir sur l'extrait de notre carte du ciel.
Ce que l'on peut voir aussi depuis tout l'hémisphère nord, par exemple au-dessus du Mont Rushmore.
La Grande Ourse a aussi donné le mot septentrion.
La 6e édition du dictionnaire de l'Académie (1835) évoque manifestement par erreur la Petite Ourse : « se dit aussi, en termes d'Astronomie, d'une constellation du nord qu'on appelle plus communément La petite Ourse ».
Une erreur reprise dans les 7e édition (1878) et 8e édition (1935), avant qu'elle ne soit (ouf !) corrigée dans la 9e, dite « actuelle » :
XIIe siècle. Emprunté du latin septentrio, de même sens, singulier de septemtriones, « les sept étoiles de la Grande Ourse » et, proprement, « les sept boeufs de labour », lui-même composé de septem, « sept », et triones, « boeufs de labour »
Il aura donc fallu plus d'un siècle à nos Académiciens pour prendre connaissance de L'astronomie populaire de Camille Flammarion qui leur servait pourtant sur une plateau l'explication desdits sept boeufs des Romains.
D'où la présence de la constellation du Bouvier, tout près de la Grande Ourse, le bouvier étant une race de chiens gardant les troupeaux de bovins.
La Grande Ourse symbolise ainsi le ciel de l'hémisphère nord, jusqu'à avoir laissé ce nom de septentrion.
D'où ces vers de Dante, cités par Camille Flammarion dans son « Astronomie populaire », où les sept étoiles du septentrion sont bien entendu celles de notre Grande Ourse :
Quand Il eut terminé, quand les soleils épars,
Éblouis, du chaos montant de toutes parts,
Se furent tous rangés à leur place profonde,
Il sentit le besoin de se nommer au monde ;
Et l'Être formidable et serein se leva.
Il se dressa sr l'ombre et cria : Jéhovah !...
Et dans l'immensité des sept lettres tombèrent ;
Et ce sont, dans les cieux que nos yeux réverbèrent,
Au-dessus de nos fronts tremblant sous leur rayon,
Les sept astres géants du noir septentrion.
Comme la grande majorité des étoiles, celle de l'astérisme de la Grande Ourse sont connues sous des noms données par les astronomes arabes, des noms qui sont en lien avec l'anatomie de l'Ourse pour les quatre qui forment le carré : Dubhé (de l'arabe Dubb, « ours »), Merak (les reins), Phegda (la cuisse), Mégrez (la racine de la queue).
C'est dans la constellation de la Grande Ourse que se trouve la célèbre galaxie du Tourbillon (M51).
Présente aussi dans la Grande Ourse, la galaxie NGC 2841, l'une des plus massives connues, dont on estime la taille à une fois et demi celle de notre Voie Lactée.
Ne pas manquer non plus la galaxie de la « Roue de feu », M101, l'une des dernières entrées du catalogue Messier.
La Grande Ourse est aussi le cadre où se déroule un combat gravitationnel majeur entre les galaxies M81 et M82 qui dure depuis des centaines de millions d'années.
Et puis rappelons-nous le passage de la comète de l'été 2020 (venue du nuage de Oort, on ne la reverra pas).
Enfin, on ne compte plus les images d'aurores polaires, au septentrion, donc en présence de la Grande Ourse.